Hans Theys is a twentieth-century philosopher and art historian. He has written and designed dozens of books on the works of contemporary artists and published hundreds of essays, interviews and reviews in books, catalogues and magazines. All his publications are based on actual collaborations and conversations with artists.

This platform was developed by Evi Bert (M HKA / Centrum Kunstarchieven Vlaanderen) in collaboration with the Royal Academy of Fine Arts in Antwerp (Research group Archivolt), M HKA, Antwerp and Koen Van der Auwera. We also thank Idris Sevenans (HOR) and Marc Ruyters (Hart Magazine).

Dominique Romeyer - 2024 - Code arc en ciel [FR, essai]

1 p
ink on paper
2024

 

 

 

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Hans Theys

 

 

Code arc en ciel

Quelques mots sur la peinture de Dominique Romeyer

 

 

Les peintures de Dominique Romeyer (née en 1958) se composent de plans, de bandes et de lignes de couleurs et de textures différentes formant des compositions multicolores qui évoquent la géométrie abstraite sans être géométriques. C’est avant tout un travail de peintre où chaque peinture se construit et déconstruit continuellement sans but préalable. « Un travail qui se porte sur le devenir », m’a dit Romeyer. 

Au niveau des couleurs, la superposition de fines couches d’acrylique diluée donne naissance à des couleurs « qui n’existent pas », comme l’a formulé un jour le peintre Johan De Wilde dans une lettre adressée à moi : « des couleurs sans nom » qui ne peuvent être présupposées et ne peuvent naître que d’une suite d'actions.

Dans une version antérieure de cet essai, j’ai utilisé le mot ‘patchwork’ pour décrire les peintures de Romeyer, mais elle m’a fait savoir que « son côté punk » n’apprécie pas ce mot, probablement parce qu’il lui évoque l’image de ménagères industrieuses. Pour moi, le terme suggère qu’elle crée des grilles bancales d’apparence désinvolte, en opposition à la prétendue netteté de l'art géométrique. Ceci dit, je précise tout de suite que les peintures de Mondrian, Joseph Albers et Agnes Martin, par exemple, s’avèrent très artisanales et organiques et pas du tout ‘nettes’, si on les regarde de près. En outre, la liberté formelle des ‘grilles’ de Romeyer permet des changements de couleurs très subtils, par exemple lorsque deux plans qui se rencontrent créent une ligne très fine entre eux, à cause de l'émergence d'une troisième couleur. (En fait, l'approche de Romeyer fonctionne comme un générateur de couleurs imprévisibles). Enfin, le terme ‘patchwork’ me rappelle la ‘tradition’ du collage de Los Angeles. « Mon travail découle de ce que ma mère appelait le ‘packratting’ », m’a dit Sterling Ruby. « Elle s’efforçait de ne rien jeter et de réutiliser autant que possible. La clé de tout ce que je fais, c’est le collage : la possibilité de combiner le mou et le dur, le rond et le droit. » L’artiste chicano Vincent Ramos m’a parlé d’une approche similaire dans la culture américano-mexicaine, appelé ‘rasquachismo’ par l’écrivain Tomás Ybarra-Frausto, qui la décrit comme une sensibilité esthétique basée sur la capacité de « faire un sac à main en soie avec l’oreille d’une truie », de décorer un jardin avec des morceaux de miroir et de la vaisselle cassée, de préparer un repas festif avec des petites quantités de nourriture qui traînent ou de créer une toile de fond pour une pièce de théâtre avec des sacs cousus ensemble. Inévitablement, le rasquachismo est lié à la fierté personnelle, à l’identité culturelle et à la résistance politique. Toute nouvelle forme d’art, comme les peintures de Romeyer, s’écarte de la norme. En tant que telle, elle est vécue comme libératrice, comique, poétique et politique.

Ce travail est organique, succulent et élégant. Il respire et inspire. Tout en partant d’une discipline dure et exigeante, il donne forme au fantôme de la liberté, à l’aspiration. La forme finale est nouvelle et personnelle, tendre et décisive, récalcitrante et généreuse.

Montagne de Miel, 2 aout 2024